Chronique d'Espagne. Séjour du 3 au 8 Mai 2024. Un voyage Ornitho Rolig&Rolig et Paris Birds.

Paris, le 16 Mai 2024

Bonjour !

Grosse chronique. 🍀

Suivent deux histoires pour le prix d’un, c’est assez long, un compte rendu de notre séjour en Espagne du 3 au 8 Mai 2024, largement en photos, et en filigrane, en diagonale même, une histoire très personnelle, d’enfance, que je devais écrire depuis des lustres, dans l’espoir, comme à chaque tentative, de trouver l’universel dans un peu de singulier. Bonne lecture. 

A regarder de préférence sur un ordi...


Les Larmes du Traquet Rieur

La Chaine des Pyrénées depuis l'observatoire de San Quilez, en Aragon, à l'écoute des Engoulevents à Collier Roux. 
7 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes


Pour des raisons que j’ignore, j’étais enrôlé comme Boy Scout à l’âge de 9 ans.

Pression parentale ? Les copains qui faisaient ça ? Aucune idée. 

Peu importe. 

Cela se passait dans la banlieue BCBG de Montréal, dans les années 70. Mon père bossait dans une grosse boite, on avait la petite maison avec jardin (comme tous les voisins) et le week-end on se tirait dans les montagnes du Vermont pour échapper à la routine urbaine, dans la résidence secondaire, à une heure et demi de voiture, une maison rouge dans une forêt mixte, noire, remplie d’yeux qui brillaient la nuit - ceux des ratons laveurs, des castors, des porcs-épics, des écureuils volants et des chouettes rayées. 

Je préférais les week-ends dans la nature sauvage aux semaines avec l’école et le scoutisme, dont les séances se passaient certains soirs de la semaine.

L’enjeu d’être Scout pour les gamins, si je me souviens, c’était d’apprendre plein de trucs extra-scolaires : comment planter une tente, allumer ou éteindre un feu, se servir d’un couteau, mais aussi comment gagner aux échecs, construire une table et des chaises, fabriquer un leurre pour la pêche à la mouche, aider un vieux à traverser la rue, en sauver un d’une crise cardiaque. 

Si tu pouvais montrer aux chefs scouts que tu savais accomplir tel ou tel exploit, on te filait un badge à coudre sur le haut du manche de la chemise de ton uniforme. Il y en avait de toutes sortes : badge du meilleur sportif, meilleur secouriste, meilleur bricoleur, meilleur acteur de théâtre, que sais-je….

Et c’est là que mon histoire commence, vraiment. 

Des copains scouts qui savaient faire plein de trucs, il y en avait quelques uns. Ils avaient gagné plein de badges, autant de galons pour frimer en groupe et asseoir leur supériorité. Moi, à part planter une tente et faire un feu le week-end à la campagne, je ne savais pas faire grand chose, et chaque fois que je regardais la liste des disciplines à conquérir pour mériter un nouveau badge, cela me déprimait. 

Alors je me réfugiais en solitaire dans le seul truc que je savais vraiment faire, l’identification des oiseaux, pour lequel il n’y avait apparemment aucune récompense chez les scouts.

Le week-end dans la forêt du Vermont, en hiver, les oiseaux étant pour la plupart partis en migration pour l’Amérique Centrale et du Sud, je m’amusais à collecter et identifier les nids d’oiseaux grâce à mon guide Peterson des Nids d’Oiseaux (photos ci-dessous).


Celui, minuscule, du Colibri à Gorge rubis, recouvert de lichens. Celui du Viréo à œil rouge, reconnaissable à sa façon d’être cousue à la fourche d’une branche, et aux matériaux utilisés : filaments d’écorce de bouleau, toiles d’araignée, tiges d’herbe du gazon et bouts de racine...

Oui, l’ingénierie des oiseaux, c’est quelque chose. Un nid est une merveille, mais aussi une Pierre de Rosette, car il permet de décoder tous les mouvements des oiseaux, leurs multiples allers et retours pour dénicher tel ou tel matériel, de la soie d’araignée trouvée dans une crevasse d’écorce, de l’herbe ou des racines au pied des arbres, de la fange récoltée sur le bord d’un étang. 

Alors, on s’imagine à leur place, et on devine leur quotidien, leurs aventures dans le sous-bois et la canopée. Et on voyage.

J’ai même trouvé des nids avec des poils de crinière de cheval incorporés : le piaf avait-il été jusqu’à la ferme voisine, où les avait-il trouvé au sol dans la forêt, là où les canassons passaient parfois… ? Pour le gamin de 9 ans que j’étais, un mystère digne d’un Sherlock Holmes.

Un soir de scoutisme, de retour à Montréal pour la semaine, on nous demande de préparer un truc à présenter au groupe, un hobby que l’on partage, une chose que l’on sait faire... 

Alors je ramène ma collection des nids d’oiseaux du Vermont, et quand arrive mon tour, j’en présente une dizaine avec minutie. J’explique les nombreuses caractéristiques et spécificités de chacun: sa forme, sa taille, son emplacement dans l’arbre, sa hauteur, sa distance du tronc, les matériaux utilisés, et comment tout cela permet d’identifier l’oiseau responsable de telle ou telle construction. Je mets l’accent sur tout le travail et l’ingéniosité nécessaires à l’oiseau pour finir son œuvre.

Je n’oublierai jamais la tête « bouche bée » des chefs scouts qui m’écoutaient, pour la plupart des parents des copains. Me croyaient-ils fou ? Un gamin mythomane qui racontait n’importe quoi ? Ou simple tête à claques ?

A l’approche de la cérémonie de fin d’année, le chef suprême des louveteaux dont je faisais partie (l’école primaire des scouts) appelle mes parents au téléphone pour s’assurer que je serai présent : « il faut absolument que votre fils soit là demain soir! Très important ! »

J’ai des vagues souvenirs de la cérémonie. Cela se passe dans une salle quelconque, du genre taillée pour les occasions de ce type. Il y a des discours, de l’ennui et de bâillements, des applaudissements, quelques parents exubérants. De nouveaux badges gagnés par des gamins pas peu fières. 

Moi, je n’ai toujours qu’un seul badge, toujours le même, celui du camping sauvage, alors je me fixe les pieds avec embarras. 

Et puis soudain j’entends mon nom. Sur la scène, devant le parterre de louveteaux et de leurs parents, un des chefs scouts adultes commence à parler de moi, comme dans un rêve. Ou cauchemar. Au choix. Quelque chose de ce genre :

« Lorsque ce jeune homme nous a présenté ses nids d’oiseaux, l’étendue de son savoir dépassait blah-blah blah... alors il nous a semblé important blah blah blah... de récompenser et de mettre l’accent sur l’importance de blah blah blah... et d’encourager ses qualités de blah blah blah…. Nous attribuons donc le prix de Louveteau de l’Année au jeune David Rosane ! »

Sous les applaudissements, j’avance vers le pupitre et remercie timidement l’assemblée, et mes chefs scouts. Je prends la petite sculpture avec mon nom et la date gravés dessus et me rassois. 

Il s’agit du premier, dernier et seul prix que j’ai gagné de ma vie, et c’est très bien ainsi.

Chaque fois que je vais sur le terrain, je suis récompensé par le simple fait d’être dehors, dans l’immersion, et en quête d’oiseaux (et de mammifères, et de papillons, et de fleurs), réjoui de savoir voir et nommer les espèces, d’entendre et reconnaître leurs chants, de déchiffrer leurs comportements. Et de partager le peu que j’ai appris.

La cerise sur le gâteau, c’est de voir enfin un oiseau fétiche, notamment l’un de ceux que je cherche, parfois désespérément, depuis longtemps, fantasmé depuis l’enfance, le trésor tant recherché enfin observé, « coché », qui vaut alors un univers de médailles.

Notre séjour en Espagne la semaine dernière en est l’illustration parfaite. Et j’y viens. Mais d’abord, la fin du conte :

Quelques mois après « l’étrange incident du  louveteau de l’année », en août 76, ma famille déménage en France, mon père accepte un poste dans le Sud, à Aix-en-Provence. 

Je ne suis pas content de ce déménagement. Du tout. Il faut apprendre le français, se faire de nouveaux copains…et quitter le Vermont. Beurk. Alors je me réfugie dans mon guide Peterson des Oiseaux d’Europe, que mes parents m’avaient sympathiquement acheté la veille du départ, pour tenter d’éponger mes larmes. 

Je l’ai encore, le bouquin. Il est dans un état ! Décousu, en miettes, aimé et utilisé à mort depuis. 

Arrivé à Aix, je m’éclipse derrière la maison. Il y a une pinède, de la garrigue. J’y vois ma première Pie Bavarde. Mes premières Mésanges. Ici, une Fauvette Mélanocéphale ; là, un Pinson des Arbres. Un Rougegorge! Youpi ! Que des oiseaux étranges, exotiques. 

Les « coches » pleuvent et me consolent, depuis ce vaste monde extérieur qu’est le vivant, quelques oiseaux devenus dieux et trophées construisent ma paix intérieur, mon histoire, mon identité. Ma « life list » s’agrandit de jour en jour... Quête et extase ultime. 

S’il faut être heureux en Europe, je le serai grâce à ses oiseaux. 

(Je vous rassure tout de suite, j’ai rencontré des centaines de naturalistes avec la même pathologie. Pendant le confinement Covid, on savait exactement quoi faire, et qui regarder par la fenêtre. L’accenteur et le merle dans le jardin, les martinets et les rapaces en migration dans le ciel… Le vrai fou choisit sa folie).

Je reprends. Dans mon vieux guide Peterson des Oiseaux d’Europe, deux planches en particulier gobent tout mon attention de jeune immigrant américain débarqué en Provence. Des oiseaux particulièrement fascinants y figurent, je les trouve nettement plus attractifs que les autres, sans raison apparente. 

Car j’ai toujours eu des oiseaux « préférés », que je devais « absolument » voir un jour, quitte à faire le tour du monde. L’aigle Harpie (c’est fait), le guêpier carmin (aussi). 

Ce ne sont pas forcément les oiseaux les plus colorés, parfois il s’agit du nom du piaf qui en fait le charme, sa silhouette, ses mœurs. Sa rareté. C’est un processus entièrement subjectif, et profondément irrationnel. Un truc du cerveau limbique. Tel ou tel oiseau se couvre soudain d’un aura magnétique et vous appelle, et vous rappelle, tel un fantôme, tant que vous ne l’avez toujours pas vu.  Il devient votre maître, et vous son serviteur. Vous vous imaginez en boucle la scène où vous le verrez enfin.

Les deux planches dans le Peterson, qui me taraudent et m’hypnotisent sans raison depuis la fin des années 70, sont en photo ci-dessous:


        

Commençons par la première, celle qui réunit la Huppe, le Rollier, le Guêpier d'Europe, le Martin-Pêcheur, le Coucou Geai, le Coucou Gris, l’Engoulevent d’Europe et l’Engoulevent à Collier Roux.

Assez rapidement à Aix, je « coche » le Rollier (dans la plaine de la Crau), le Guêpier et le Martin-pêcheur (en Camargue), le Coucou gris et l’Engoulevent d'Europe (à la Sainte-Victoire) et la Huppe Fasciée (en Espagne) : Électrochoc. Brûlure de la rétine. Cris de joie d’un gamin exalté. 

Du point de vue de l’univers, c’est absurde, je sais. Mais s’époumoner lors d’un but en finale de foot l’est tout autant. 

J’ai du attendre 2009, et mes 44 ans, lors d’une mission comme apprenti maraîcher dans le Gard, pour voir enfin mon premier Coucou Geai, oiseau furtif et mystérieux par excellence, dans un coin de vigne, entre corniche de calcaire et maquis de chênes verts. 

Célébration de folie. Déluge de Dopamine. L’émotion qui accompagne la découverte du Graal plumé, enfin vu au bout de 30 ans de rêverie, reste la même lorsqu’on est adulte, sauf que les cris de joie sont d’une tessiture plus grave que chez un jeune Homo sapiens prépubère. 

Et ce n’est la semaine dernière, en Espagne, que j’ai enfin pu entendre (car c’est un oiseau nocturne difficile à voir) l’Engoulevent à Collier Roux, et finir ainsi de compléter l’une des deux planches tant hallucinées du vieux Peterson de mon enfance. 

Ma réaction : un simple birdgasm* de base, intériorisé , étant accompagné par 8 participants, j’ai gardé mon cool. 

Cela se passait lors d’une sortie nocturne en mode apéro, sur les collines boisées de San Quilez, à l’ouest de Binéfar, le soir du 7 Mai : « Toc-toc !, Toc toc ! Toc-toc !... » criaient les trois mâles engoulevents entre chien et loup, et mon cœur qui s’accélérait pour être en phase avec leur chants mécaniques lancés dans la pénombre. 

Avec eux, aussi, un Rossignol, des Engoulevents d’Europe, et deux œdicnèmes criards, qui hurlaient.

La deuxième planche du guide Peterson qui commandait toute mon attention dès l’âge de dix ans était celle des rougequeues, rossignols, monticoles et autres tariers.

Étant dans le Sud, j’ai rapidement vu la plupart de ces espèces, et lorsque j’ai croisé enfin mon premier mâle de Gorgebleue en plumage nuptiale, à Changis-Sur-Marne, il y a seulement 4 ans, mon cœur s’est arrêté de battre et s’est logé dans ma trachée.

Restait le Traquet Rieur. Oiseau Noir et blanc. Passereau insectivore de la taille d’un petit merle. Tout ce qu’il y a de moins coloré, de plus banal, et à priori peu charismatique. A part qu’il habitait des steppes arides et caillouteuses d’Espagne et d’Afrique du Nord, là où il y a des escarpements, des talus, des éboulis, des petites falaises. Un oiseau qui survit avec peu, qui glane ce que la fournaise sait offrir. 

Cet oiseau, je l’ai fantasmé comme aucun autre. Il a disparu de France dans les années 90, les quelques couples en Occitanie s’étant éteints. En Espagne, j’entendais qu’il régressait aussi. Alors j’ai arrêté de rêver de le voir un jour. 

Puis le Covid, et Paris-Birds, sont passés par là. Et avec Anne Lisbet, alias « la Viqueen », on se retrouve aujourd’hui, comme ça, organisateurs de séjours de bird-watching…

On vous emmène au Lac du der pour contempler les Grues, puis en Camargue pour les Guêpiers et les Rolliers, en Baie de Somme pour la Gorgebleue, en Occitanie pour le Coucou Geai,...et, il y a deux semaines, en Espagne.

Pour un tas de raisons.

Lorsque je faisais le repérage à distance pour ce 17eme séjour ornitho, le Traquet Rieur est revenu illico au devant de la scène. Le verrai-je enfin ? 

Fiévreusement, j’ai checké et rechecké les dernières observations postées en ligne sur ebirds par les ornithologues espagnols. Je devais le voir à tout prix. Un couple habitait encore les falaises d’Alcolea, juste à côté de notre gîte, mais restait très difficile à voir dans l’immensité minérale du colossal mur de pierre. Nous y sommes passés. Rien. « Seulement » des Guêpiers, des Craves à Bec Rouge, et une sublime colonie de Faucons Crécerelettes. 

Un autre couple de Traquets Rieurs serait peut-être présent aux ruines de Belchite, avec le Monticole Bleu. Nous y sommes passés.  Rien. Juste un magnifique Monticole Bleu papa, tout bleu iridescent, qui nourrissait son petit. Et un loriot dans les arbres, au plumage jaune en fusion solaire. Radieux.

Ma quête du Traquet Rieur devenait improbable. 

Je n’en parlais à personne dans le groupe, bien entendu, car une obsession (trop) divulguée rend fou les autres. Rester pro. Zen. Efficace. 

Alors j’ai fait mon job de guide. Explorant les meilleurs spots, les plus riches en diversité, des plateaux (ou « mesas ») de Balofar à la végétation ténue, jusqu’aux plaines écorchées et rouges latérite de la réserve El Planéron, en passant par quelques garrigues dénudées aux plans de thym épars, parcourus de mille et un lapins, et quelques champs de blé en reconversion bio, hérissés du sanguin des coquelicots, ou quelques lagunes auréolées de beaux roseaux. 

J’ai guidé pour que l’on s’émerveille ensemble, ébahi, en groupe, du chant flûté et des parades improbables de 7 espèces différentes d’alouettes : la Pispolette, la Lulu, la Calandre et la Calandrelle, les Cochevis Huppé et de Thekla, le Sirli de Dupont. 

De Huppes Fasciées en habit de clown et de Coucous Geais aux allures de vélociraptor, de Perdrix Rouge au costume de carnaval, et du non moins étrange Ganga Cata, sorte de pigeon terrestre du désert, au plumage d’Arlequin et à la longue queue pointue en forme d’aiguille. 

De rapaces innombrables, aussi : Aigles Royaux et Circaètes Jean-le-Blanc, Milans Noirs et Royaux, Busards Cendrés et des Marais...planant et virevoltant majestueusement au-dessus des steppes. La densité d’oiseaux de proie est, en Aragon, effarante. 

Ne pas oublier les charognards : des Vautours Fauves, en groupes de plusieurs dizaines de géants, surfent en spirale sur les courants ascendants d’air chaud – ou « thermiques », à partir de midi, chaque jour.

Les Cigognes sont partout. Les Martinets, les Serins Cini et Chardonnerets aussi. Les Fauvettes Orphée et à Lunettes chantent à tue-tête, entre oliveraies et steppes buissonneuses. La Rousserolle Turdoïde règne sur la roselière, le Héron Pourpré s’y cache. Quelques Pie-grièches Méridionales, à Tête Rousse, et de Traquets Oreillards à l’indicible plumage chamois nous barrent souvent la route pour nous en mettre plein la vue. 

Nos yeux et nos oreilles ne furent pas créés pour pratiquer l’ornithologie, pas plus que nos doigts ne furent taillés par sélection naturelle pour jouer du piano – et pourtant ça marche.

Le soir, au gîte, trois nids de Cigognes dominaient les clochers de l’Église, visibles depuis la terrasse, avec leurs petits dedans. Des Moineaux et des Étourneaux Unicolores nourrissaient leur jeunes sous les tuiles du toit en face, et un couple d’Hirondelles Rustiques construisait son nid au-dessus de la table à manger.

Nous étions submergés d’oiseaux, touchés-coulés gisant au fond d’un océan de beauté.

Et pourtant. Je n’avais pas encore mon Traquet Rieur tant convoité depuis...48 ans.

Au 4ème jour, l’infatigable Viqueen nous conduit une heure trente, dès l’aube, jusqu’à la réserve de Mas de Melons, au Sud de la Ville de Lérida, aux confins sud-ouest de la Catalogne... 

Nous nous retrouvons dans un espace naturel salvateur, où règne l’olivier et le maquis, mais encerclés de vastes étendues d’agriculture intensive, d’élevage de porc industriel, le tout entrecoupé de quelques pinèdes, poivré de quelques fragments de prairie ou de garrigue épars, mis en réserve, autant dire « en musée », reliques d’une nature terrestre devenue largement, dans les mots d’Anne Lisbet, «anecdotique». 

Double tranchant de la tristesse et du sublime, en juxtaposition.

Le minivan garé, son chant appris par cœur en mémoire, je me dirige sur le côté d’une ancienne et colossale maison de ferme en pierre, il s’agit du centre d’accueil de la réserve de Mas de Melons, au spot précis où avait été signalé un Traquet Rieur mâle, esseulé, sans femelle, quelques jours plus tôt. 

Je scrute chaque recoin du paysage alentour, le cœur qui bat trop fort, la gorge serrée par le trac, l’escarpement en contre bas, le haut des buissons, les cultures en face, les murailles en pierre, à défaut, la pinède à l’autre bout de la vallée.

J’identifie et désigne chaque espèce au groupe, sans oublier mon taf de guide : « là ! Un épervier volant avec une proie dans les serres ! Là ! Un couple de Craves à Bec Rouge !...Trois Pigeons Colombins ! »

« Oh putain ! »

Je pense l’avoir redis une deuxième fois, avant de m’asseoir par terre et de lancer un « holy fuck » en anglais étonnement désinvolte. Les genoux en compote. Le cœur à trois cent MPH. Le visage blême. La larme à l’œil. 

Nos huit participantes me regardent et se marrent. Personne n’est au courant de ma quête ultime.

« Un Traquet Rieur ! Leur dis-je. Là-haut, sur le poteau électrique qui fait projecteur… un vulgaire poteau électrique….J’ai attendu cet oiseau toute ma vie.» 

Je l’attendais plutôt au fond d’un canyon, l’imaginant en haut d’une falaise, l'espérant au lever de soleil, ange suprême du panthéon avicole. Mais pas en haut d’un poteau électrique. 

« Comment t’as fait pour le voir ? »

« J’ai entendu son chant sur mon flanc droit, j’ai pointé ma longue vue et hop ! Ah que coucou ! Traquet Rieur ! »

Toutes les médailles du monde. 

Nous l’avons observé une bonne demi-heure. Il ne cessait de faire des allers-retours entre les rochers, le haut des poteaux, changeant sans cesse de perchoir, pour chanter, danser, déployant sa queue en éventail pour « faire le paon », pour le plus grand bonheur du groupe. 

Y avait-il au moins une femelle pour l’écouter, et l’admirer autant ? Tomber sous le charme ? Faire des petits et perpétuer l’espèce ?

Les gardes de la réserve semblent avoir mis une assiette de friandises à sa disposition, peut-être des asticots pour la pêche, derrière un muret ; l’oiseau venait régulièrement s’y nourrir. 

L’après-midi, le pique-nique englouti sous un figuier, nous sommes allés observer des sublimes Rolliers amoureux et en parade, l’un des deux couples s’est même accouplé devant nous, au bout d’une branche morte. Féerie de plumes bleues turquoise et oranges. Double birdgasm, l’un pour eux, l’autre pour nous. 

Cela se passait au nord-est de Lérida, dans une autre réserve esseulée, un autre fragment entouré de cultures industrielles et de déroulés urbains, un autre vestige d’une biosphère devenue globalement « anecdotique ».

A bientôt sur ces chemins,

David


*BirdGasm: Jouissance ultime éprouvée lors de l'observation d'un oiseau. Contraction en Anglais de Bird (Oiseau) et Orgasm (Orgasme). La même pour la nourriture délicieuse (Foodgasm) et la bonne musique (Eargasm)


 Le Traquet Rieur en haut de son poteau à projecteurs. Mas de Melons, Catalogne.
6 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes

Le même, en haut d'une corniche de calcaire. Mas de Melons, Catalogne.
6 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

1er lever de soleil sur le plateau de Balofar, Steppes de Bujaraloz. 
4 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes


Coquelicots. Plateau de Balofar. Steppes de Bujaraloz. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes


Fauvette Orphée. Oliveraie. Bassalet de Don Juan.  4 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Nid de Cigogne, sur le haut de l'Eglise, depuis notre gîte. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.

Don Quichotte. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes


Réserve El Planeron. Steppes désertiques de Belchite. 5 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Nuages Lenticulaires. Aragon, Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Réserve El Planeron. Steppes désertiques de Belchite. 5 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Ruines de Belchite. 5 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Monticole Bleu, mâle. Ruines de Belchite. 5 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Cochevis de Thekla avce becquée. Saladas de Sastago. 5 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Agriculture Industrielle. Aragon. Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Le Groupe arrivant aux ruines de Castelldans. Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Amandiers. Aragon. Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Moineau Domestique. Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Guêpier. Mas de Melons, Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Perdrix Rouges. Mas de Melons. Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Rollier d'Europe. Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Une variante du "birdgasm". Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Plateau de Balofar. Coquelicots et Ornitho. Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Lapin. Steppes d'Aragon. Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Le Traquet Oreillard, mâle, phase à gorge sombre. Plateau de Balofar. 7 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Milan Royal. Plateau de Balofar. 7 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Bruant Proyer. Plateau de Balofar. 7 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Cigogne Noire. Catalogne. 8 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Rousserolle Turdoïde. Estany d'Ivars. Catalogne. 8 Mai 2024. Photo (c) Anne Lisbet Tollånes.


Monticole Bleu. Oisillon. Ruines de Belchite. 5 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Etourneaux Unicolores. Aragon. Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.
Craves à Bec Rouge. Mas de Melons, Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Fauvette à Lunettes. Mas de Melons, Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Moutons. Mas de Melons, Catalogne. 6 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Plateau de Balofar, Pyrénées au loin. 7 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Guêpier d'Europe. Catalogne. Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Bihoreau Gris. Catalogne. 8 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Héron Pourpré. Catalogne. 8 Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.

Guêpier d'Europe. Catalogne. Mai 2024. Photo (c) Joëlle Blot.



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