5-9 MAI 2023
LEUCATE !
Vue sur la Carte Biologique du Monde.
Chronique de Séjour.
photo (c) Anne Lisbet Tollänes
Ceci est la chronique de notre séjour "décou.verte" en Languedoc-Roussillon, l'un des plus généreux en nombre d'espèces et de couleurs, d'oiseaux, de fleurs, de paysages terrestres et marines à ce jour, avec Paris Birds (David) et Rolig&Rolig (Anne Lisbet).
C'était début mai 2023: Rolliers, Coucous-geais, guêpiers, martinets pâle et faucons crécerellettes, monticoles bleues, traquets oreillards, circaètes jean-le-blanc, sternes caspiennes, goélands railleurs, hirondelles rousselines et faucon kobez.... un bon bout de l'arc-en-ciel des oiseaux d'Europe, en profusion, les espèces méditerranéennes en vedette. C'était le 9ème séjour organisé pour nos apprenants depuis le début de nos aventures en 2021.
Entre Garrigues, Maquis, Falaises de Calcaire et Marais Salants et cultures du littoral, une nature prolixe où chaque espèce démontre par ses adaptations et spécificités qu'il est le fruit hautement évolué de son environnement. De quoi réfléchir quant à la répartition du vivant sur le globe, et à la notion toute fine de biogéographie.
Nous avons aussi bien été gâté par la migration, avec au zénith du voyage, plusieurs dizaines de milliers d'oiseaux migrateurs en une demi-journée dont plus de 13 mille martinets et 1000 guêpiers en une matinée au-dessus des falaises de Leucate.
Une tuerie.
Programme itinéraire
Jour 1. Vendredi. Arrivée à Perpignan. Après-midi sur le plateau de Leucate. Observation des Oiseaux de mer et découverte des Oiseaux et flore de la Méditerranée.
Jour 2: samedi. le Plateau de Corbières le matin, les marais de Salses l'après midi. Passereaux méditerranéens et migrateurs au long cours.
Jour 3. Dimanche: point d'observation de migration de Leucate, les migrateurs de la Franqui. L'après midi entre salins et plateau de la Palme. Monticole !
Jour 4. Lundi: la Basse Vallée de l'Aude. Oiseaux les plus colorés de la Méditerranée. L'après-midi, salins et marais de Fleury à Gruissan. Oiseaux d'eau et de mer.
Jour 5. Mardi. Matin sur le Plateau de Leucate. Oiseaux migrateurs. Départ à 13h de Perpignan Gare.
Conditions du voyage
978,00 € (sans transport en train Paris -Perpignan A/R à la charge de chacun)
Ce tarif inclut:
4 nuits à l'hôtel Leucate, en Chambre Twin avec 2 lits séparés, Tax de séjour, petit déjeuner et diner chez un restaurateur avec qui travaille l'hôtel inclus (1/2 pension)
4 déjeuners à emporter
5 jours de guidage
Transport sur place en camion de 9 places avec le carburant.
L'organisation du séjour.
Voici la Chronique...
ESPACE TEMPS
Lorsque vous prenez le train de Paris à Montpellier ou au-delà (et que vous regardez par la fenêtre, comme moi), vous remarquerez une transition progressive dans la végétation sauvage : peu à peu, les grandes forêts mixtes de hêtres, de chênes, de bocages et de haies du nord de la France, vont faire place à une végétation plus tenue, sempervirente, de pinèdes et de garrigues accrochées aux collines de calcaire blanchies par le soleil.
Cette transition devient assez nette juste au sud de Valence, lorsque vous pénétrez dans la vallée du Rhône.
Vous entrez dans un autre biome, celui de la Méditerranée, chaînon manquant entre les zones tempérées et polaires au nord, et les tropiques au Sud.
Un autre monde, donc, dont la terre possède plusieurs, des savanes africaines aux toundras arctiques en passant par le désert, la jungle (et les différentes types d’océans).
Une seule planète ? Nan, plusieurs.
La nature possède en effet une GÉOGRAPHIE. On parle alors de « bio-géographie », qui consiste à identifier les différentes partitions du globe qui, selon la latitude, la longitude, l’altitude, et le climat, possède chacune sa propre légion d’espèces, sa propre faune et flore, ses propres communautés, son propre reposoir de gènes.
Ainsi, en Ile de France, la grande hêtraie ou chênaie francilienne s’accompagnent typiquement du pouillot siffleur et du gobemouche noir (observés hier lors de la sortie à Fontainebleau), absents du sud, et les ronces de nos prairies frémissent du mouvement des fauvettes grisettes et pie-grièches écorcheurs…
Alors qu’autour du bassin Méditerranéen, les chênes verts et arbousiers du maquis se peuplent plutôt d’exotiques alter-egos méridionaux, comme la fauvette mélanocéphale et la fauvette orphée, et la garrigue, de la pie-grièche à tête rousse, ou du traquet oreillard, et ainsi de suite… jusqu’aux espèces également locales de fleurs, de mammifères, de reptiles, d’insectes...
A chaque région ses habitants, donc, et à chaque habitant sa région. C’est la règle générale. Même s’il existe plein d’exceptions pour la confirmer, comme l’étourneau sansonnet, le coucou gris et l’hirondelle rustique, par exemple, des espèces généralistes et non spécifiquement attachés à un lieu, qui habitent partout en Europe, quelque soit la zone dite « biogéographique ».
La nature n’est jamais statique, ni figée, même si elle obéit à des lois, elle est aussi taquine, toujours en mouvement.
Il y a quinze jours, nous somme allées à Leucate, en Languedoc Roussilon, pour effectuer ce voyage dans l’espace biologique du monde.
Nous avons franchi une porte et vécu parmi d’autres créatures et d’autres sons, d’autres essences, couleurs, parfums et tours de magie du vivant.
Rien que dans les fleurs et plantes de garrigue, entre l’aphyllante de Montpellier, la Valériane de Leucoq, le concombre des ânes, le pistachier, le chêne kermès, le salsifis sauvage, le fenouil, la gueule du loup, le thym, le romarin, ou chez les insectes, la chenille et les ailes chatoyantes du Thais écarlate, espèce ibérique de Papillon… Une tuerie.
Pendant cinq jours, écosystème par écosystème, paysage par paysage, des Corbières à la vallée de l’Aude, nous avons fouillé ainsi le maquis, la steppe caillouteuse, la forêt ripisylve, la plaine salée ou « sansouire, » les éboulis de calcaire, les salins, les roselières d’eau saumâtre...
Pour nous réjouir, nous émerveiller des différences, pour atteindre ce niveau de lecture supplémentaire du monde.
Si la plupart des espèces étaient nouvelles, fantasques ou multicolores : le rollier (cyan et ultraviolet), le coucou geai (huppé), le monticole bleu (métallique), le goéland railleur (au ventre rose), le martinet pâle (au plumage écaillé), ou l’ophrys bécassine (féerique), d’autres créatures nous étaient déjà familières, comme le héron cendré, la bondrée apivore, les avocettes et les martinets noirs.
Soit parce que ces espèces sont migratrices et donc passe-partout, soit parce que la nature ne fait JAMAIS tout noir tout blanc. Il y a toujours des anomalies statistiques, des zones grises, des chevauchements.
Ainsi le pouillot de Bonelli et le Serin cini, oiseaux abondants dans le sud, habitent aussi parmi nous en Ile de France, en petit nombre. Idem la Huppe et quelques couples de guêpier. Car les oiseaux sont ailés, quelques-uns voyagent loin, explorent même, et deviennent parfois cosmopolites, comme la grande aigrette, le faucon pèlerin, le héron garde-bœufs ou la chouette effraie.
Tout comme Homo sapiens d’ailleurs. Grand singe originellement endémique aux savanes africaines, aujourd’hui espèce dominante et globale.
Nous rôdons dans notre forme actuelle depuis environ deux cent mille ans sur la terre, cognitivement apte pour inventorier le monde, communiquer, accumuler du savoir, s’outiller, et s’installer.
Mais ce n’est qu’aux Lumières, et autour de la Révolution scientifique, que de grands bonds-en-avant vont se faire dans la connaissance réelle du Cosmos.
Passées les premières grandes découvertes grecques, italiennes et arabes, en mathématique et sur notre place dans le système solaire, un homme va partir à la découverte de la Terre. Il s’appelle Alexandre Van Humboldt. Il est Prusse. Et avec son ami français, le botaniste Aimé Bonpland, ils vont d’une traite inventer l’exploration scientifique moderne et radicalement changer notre regard sur le vivant.
En commençant par cartographier la vie sur Terre.
Les deux copains embarquent pour une expédition en Amérique du Sud, de 1799 à 1804. Ils collectent pratiquement tout ce qu’ils voient. Ils trimballent avec eux, des dizaines d’instruments de mesure. Tout ça pèse lourd, mais peu importe. Humboldt est un gars de Renaissance, il s’intéresse donc forcément à tout : aux étoiles, à la faune et à la flore, au ciel, à la météo. Rien n’échappe à son radar. Il mesure et note furieusement, tout ce qui est mesurable à son époque : l’altitude, la pluviométrie, la densité de l’air, les secousses sismiques, la puissance gravitationnelle - et le volcanisme, qui l’intéresse particulièrement.
C’est en Colombie, et en Équateur, qu’il va escalader la plupart des volcans du Nord des Andes. Les deux explorateurs grimpent et arrivent pratiquement au sommet même du Chimborazo, à plus de 5000 mètres, alors qu’ils arrivent à peine à respirer et échappent de peu à la mort par le froid.
(Il faut se rappeler que Chimborazo à l’époque est considérée comme la plus haute montagne du monde, et aujourd’hui encore, celle dont le sommet se trouve le plus loin du centre de la planète, du fait de sa latitude équatoriale, là où la terre « est plus grosse »).
Et là-haut, au sommet du monde, c’est le déclic. Comme Humboldt note, et mesure absolument tout, et surtout parce qu’il dessine et VOIT TOUT avec un œil et une main de maître (les similitudes et les différences, les nuances comme les grandes lignes), il va d’une traite, le plus naturellement du monde, comprendre cette minutieuse répartition géographique des espèces animales et végétales du monde, en fonction des conditions alentours.
Il observe en effet, avec son regard de penseur holiste, qu’à chaque altitude du volcan pousse une nouvelle type de forêt, tout un nouveau monde avec des espèces végétales et animales qui lui sont propres. Des étages strictes dans le vivant, dont la somme compose une sorte de mille-feuilles de niveaux et dont la composition de chacun varie selon lui, avec l’altitude, mais aussi avec la latitude, la pluviométrie, la température, la densité de l’air, et ainsi de suite.
Humboldt comprend que tout est lié, en somme. Que rien n’existe séparément, isolément, que chaque espèce est le produit des facteurs de son environnement. Et que tout est à la fois organisé, et fluide. Adapté, et interdépendant, comme un seul être. La terre, ce méga-organisme.
(Notez son schéma et illustration annotée ci-dessous. Absolument géniale et avant-garde pour son époque).
Pour citer l’historienne allemande Andrea Wulf, c’est un peu comme si en prenant de la hauteur sur Chimborazo (il parle d’une vue époustouflante sur le monde en contrebas), vision qu’aucune personne n’avait eu avant lui, Humboldt avait AUSSI pris le recul nécessaire pour comprendre l’organisation de la vie sur terre, planète qui s’étalait devant lui depuis le sommet du monde.
Son « petit pas pour l’homme » est aussi « un grand pas pour l’humanité », de la même manière que la première photo de la Terre depuis l’espace a changé notre conscience du monde, son regard combine avec celui de Bonpland va representer un saut quantique dans la perception du vivant par Homo sapiens. A travers leurs yeux, nous gagnerons une perspective nouvelle sur notre place dans l’Univers.
Nous savons depuis que la toile du vivant est en effet indivisible, mais aussi fragile, vulnérable. Qu’il suffit parfois d’enlever une espèce, pour qu’un écosystème change, voire s’écroule. Ou que tout changement climatique, même minuscule, change le vivant qui en dépend.
Humboldt est de fait le père fondateur de l’écologie, cette branche de la biologie qui dénoue et comprend les rapports indivisibles entre les êtres, et entre le vivant, le minéral, et le météorologique. Il est aussi le fondateur du mouvement ÉCOLOGISTE ; il comprend le premier que la colonisation et l’exploitation égalent la destruction de la nature.
C’est à la fin de sa vie, qu’il publie son chef d’œuvre, Cosmos, qui englobe presque tout ce que l’on sait à l’époque de la vie sur Terre. Et de notre place dedans.
Or, un de ses plus grands fans de Humboldt est le jeune Charles Darwin, qui écrira que s’il n’avait jamais lu les voyages de Humboldt en Amérique du Sud, il n’aurait jamais embarqué sur le Beagle pour son voyage autour de l’Amérique du Sud, jusqu’aux Galapagos, et qu’il n’aurait jamais, de fait, découvert les processus de sélection naturelle qui ont articulé sa théorie de l’évolution !
Si Humboldt a donné une géographie au vivant, Darwin lui a donné une histoire.
Depuis sa théorie de l’évolution, en effet, nous savons que nous sommes tous, toutes créatures confondues, des papillons aux poux et passant par les poissons, les paons et les pissenlits, génétiquement liés, membres apparentés accrochés à l’arbre généalogique du vivant, descendants d’une abyssale lignée d’ancêtres communs, depuis aussi longtemps que la vie sur Terre existe.
Aujourd’hui adaptés à la roche et au climat qui nous a vu naître, réparties en zones biogéographiques comme l’avait compris Humboldt, selon nos besoins, mais aussi selon nos histoires génétiques et évolutionnistes respectives, comme l’avait pressenti Darwin..
Tous sauf un, bien évidemment, Homo sapiens, qui en tentant de transgresser les lois du vivant ne fait que le détruire.
Dommage. Toute la vie sur Terre n’est qu’un, latéralement, dans l’espace, mais aussi historiquement, dans le temps. Depuis le point de vue de l’Univers, nous sommes tous aussi proches du coucou-geai que de l’Ophrys bécassine que du champignon, de l’amibe et du Tyrannosaurus rex, et même d’un affleurement calcaire en Languedoc, qui n’est rien d’autre qu’un ancien fond marin minéralisé, soulevé par la tectonique des plaques, et imprimé de milliards de fossiles de nos plus lointains ancêtres.
Sur quelle montagnes, dans 400 millions d’années, seront figées les traces fossilisées de notre éphémère passage sur Terre ?
Y aura-t-il seulement quelqu’un.e pour l’observer, le dessiner, s’en émerveiller ?
A bientôt sur le terrain, ou sur ces pages.
David
Guide chez Paris Birds
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