2-4 DECEMBRE 2022
LES OISEAUX DU DER.
Compte rendu de séjour.
Ceci est la chronique de notre deuxième weekend "décou.verte" au Lac du DER - CHANTECOQ en trois ans, en partenariat avec Paris Birds et Rolig&Rolig. Le Voyage s'est déroulé du 2 au 4 décembre 2022. Parce que "Le DER", réserve naturelle sublime en Champagne Ardennes, est un haut lieu d'hivernage exceptionnel pour des dizaines de milliers d'oiseaux d'eau dont cygnes, canards, courlis et oies de Sibérie et de Scandinavie, et pour la migration des Grues Cendrées - sans doute l'espèce la plus gracieuse d'Europe et dont les rassemblements à l'automne et en hiver constituent l'un des spectacles les plus sidérantes du vivant.
Conditions et tarif du voyage: ce séjour exceptionnel s'est déroulé du Vendredi 2 au dimanche 4 Décembre 2022. Nous sommes partis de Paris à 9 personnes dans le Minivan. Le tarif était de 335 euros par personne et comprenait le transport, le guidage, l'orga, le service, deux nuits en gîte, un dîner fait maison et deux petits déj ainsi que deux déjeuners. Et beaucoup, beaucoup d'oiseaux...
Programme: vendredi soir minivan de Paris au Lac du Der. Samedi matin: réveil des grues depuis l'observatoire de la LPO. Matinée et après midi dans les différents observatoires qui auréolent le Lac et balade crépusculaire sur la digue. Dimanche matin : l'envol des grues depuis la rive EST du Chantecoq. Visite des Eglises en Bois. Dimanche après-midi: Cygnes de Bewick, Harles Bièvres et Grandes Aigrettes des lacs de la forêt d'Orient. Dimanche soir retour sur Paris.
CHRONIQUE
LA PASSION DE L’ORNITHOLOGUE
par David Rosane, guide chez Paris Birds
Voici deux images d’Église:
C’est une très belle église, intérieur comme extérieure, comme on dit dans le vernaculaire commun de l’Hexagone : « ça jette ». Plus qu’une ouvre, un monument - et un très joli point d’orgue pour notre voyage, visité entre plusieurs observations de milliers de grues sauvages, de harles, de courlis cendrés, et autres aigrettes volant en nuées interminables dans le froid, la pluie, la grisaille – et un merveilleux coucher de soleil, samedi soir.
La deuxième église, ci-dessous, représente un haut lieu de culte pour l’ornithologue, il s’agit de l’intérieure de la forêt des nuages sur les contreforts des Andes en Amérique du Sud, laboratoire vivant de plusieurs millions d’années où se concentre et se déploie sous une myriade de couleurs et de formes, du quetzal au colibri, la plus haute diversité d’oiseaux au monde.
J’avoue avoir une petite préférence pour la deuxième "église", celle de la jungle, cathédrale aux voûtes luxuriantes de lianes et d’orchidées, où s’extasier devant l’immensité créative de l’univers, et célébrer la beauté du vivant sur planète Terre. Avec gratitude. Amen.
Athée agnostique peut-être, fou amoureux des sciences, je reste néanmoins prédisposé à l’adoration, à la célébration, solitaire ou partagée, en mode prière solennelle ou dans la communion joyeuse, dans mon rapport à la nature, son inventivité. J’avoue.
Ce week-end au Der, j’ai compris pourquoi.
Ce n’étaient pas les milliers d’oies et de sarcelles sauvages de Sibérie croisés en foules sur l’eau, ou en essaims dans le ciel, ni ces cygnes de « Bewick ! » dont l’observation samedi soir au couchant m’ont fait hurlé (et courir) de plaisir, épanchements qui ont bien évidemment fait rire nos participants :
« Bewick ! » « Bewick ! » « Bewick ! » ...
Non, ce n’était pas cette abondance, ce festin pour les sens, ce renvoi au temps primordiaux et à la nature originelle du monde, désormais gravés dans les vastes mémoires de nos petits crânes.
C’était cette damnée église en bois, à Lentilles, et plus précisément les souvenirs personnels qu’elle a fait resurgir, lorsque nous avons pénétré dans l’antre du lieu, la vue de ses vitraux, ses couleurs, la froideur de la pierre au sol et le silence des murs et des bancs vides - et toute la tragédie humaine que ce type de lieu évoque (pour moi).
Comprenez qu’en 1970, mes parents ont eu l’idée farfelue d’organiser un voyage en famille en France, une croisière sur les canaux de la Loire, depuis le Canada, où nous venions d’emménager depuis l’Amérique du Sud.
Pour ce faire, ils ont loué un petit bateau, piloté par mon père. Je n’avais que cinq ans, et je n’en garde qu’un seul souvenir vif, celui de constater, stupéfait, l’existence du pont-canal de Briare (photo ci-dessous), depuis le pont de notre embarcation. Nous, sur le Canal, haut dans le ciel, et la Loire en contrebas, loin en-dessous. Incompréhension.
Apparemment ce défi de la réalité physique du monde, cet exploit d’ingénierie de faire passer des bateaux dans un pont au-dessus du vide, est tellement contre-intuitif qu’il étonne le premier enfant venu. Du point de vue de la gravité, de l’eau suspendu, flottant dans les airs, c’est à priori impossible, et intuitivement un jeune Homo sapiens le sait.
Des expériences avec les bébés humains montrent en effet qu’ils sont toujours surpris, par exemple, de voir des images filmées de ballons montant tout seuls dans le ciel, au lieu de tomber au sol, ou d’en voir grimper une pente, au lieu de rouler vers le bas.
Notre espèce possède une physique intuitive du monde, héréditaire, et la voire bafouée nous surprend le plus naturellement du monde - lorsqu’on est encore petit, ou vierge de tout contact avec le monde dit civilisé.
Je reprends. Il y a un deuxième souvenir de ce voyage familial de 1970, que je n’ai plus, mais que ma famille retient et qui fait désormais légende : un soir, dans un village, en retournant au bateau, j’ai fait subir une crise de larmes digne d’une explosion supernova à mes parents, dans la rue, à tel point qu’un vieil homme croisé sur le trottoir a dit à ma mère: « cet enfant pleure beaucoup trop, il n’est sûrement pas Français ! »
Mon père, bienveillant, m’a raconté sa version de l’histoire quelques années plus tard : il se trouve que toute la famille venait de visiter une église. Particulièrement belle, suffisamment sublime en tout cas pour que, du haut de mes 5 ans, je reste cloué d’admiration, bouche-bée, comme sous hypnose, la tête levée et le cou tordu, les yeux rivés sur l’énorme voûte qui se dressait au-dessus de nous, les vitraux colorés, et les faisceaux de lumière qui se projetaient dans l’espace intérieure du dit édifice, comme dans le plus beau des ciels. Simplement divin.
Une épiphanie, en quelques sortes.
Hors de question pour moi d’en repartir, donc : selon mon père, je tenais à rester dans l’église pour m’extasier de la beauté de ce que je voyais, et ce jusqu’à la fin des temps.
Lorsque mes parents ont dû opter pour un départ forcé, en me tirant par la main, j’ai promptement hurlé mon mécontentement, ma rage, avec beaucoup d’emphase - ou d’honnêteté en tout cas, comme tout enfant (américain) qui se respecte, mes cris égosillés ne faisaient que traduire avec clarté la déchirure ultime que cette évacuation manu militari de la belle église provoquait en mon petit moi.
L’année suivante, je changeais subitement de paroisse.
Vers l’âge de six ans et demi, selon ma mère, je tombais inexplicablement raide amoureux des oiseaux, de la nature, des amphibiens, des étoiles, des constellations, de la flore, des traces d’animaux et de leur identification, et des forêts, surtout, grandes cathédrales en extérieure que je vénère encore aujourd’hui avec la même religiosité, la même prosternation intérieure - des chênaies qui auréolent le Lac du Der aux forêts pluviales de cèdres centenaires, titans de la côte ouest canadienne, en passant par les jungles sud-américaines.
Il n’y a que le monde sauvage qui me fasse chanter « alléluia ! », en somme. Les cathédrales de pierre, les pyramides, les temples, les machu picchu et autres érections humaines, ça me touche une aile sans en bouger l’autre.
Cette révérence pour la nature sauvage, comme je l’ai déjà écrit sur ces pages, s’avère être est une maladie typiquement américaine, et le « nature writing », genre littéraire où l’on raconte notre rapport exalté au “Wilderness”, avec auto-indulgence, comme dans mes chroniques, en est le premier symptôme.
Que je hurle « Pourpré ! » en découvrant un héron pourpré sur le terrain, ou « Bewick !» en voyant un cygne du même nom, n’a rien d’étonnant, donc. Je suis un fanatique. Un naturaliste orthodoxe. Un fou du vivant. Parfaitement inoffensif. Je préfère simplement les faisceaux de lumière dehors, dans les nuages et les montagnes, ou à travers la canopée végétale, que dans la dite maison de dieu.
Pour cette grande église du dehors, il me fallait depuis jeune un texte, un catéchisme, un apprentissage. N’ayant pas de mentors ou de profs d’école engagés dans ce sens, ils restaient les premiers guides d’identification, et des encyclopédies de la nature, seuls moyens pour une science « des spécialistes » d’être démocratisée, de devenir accessible aux simples fidèles dont je faisais désormais partie.
(Pour la petite histoire, les cygnes de Bewick admirés ce week-end, originaires de Sibérie, furent nommés en hommage à l’anglais Thomas Bewick, l’un des premiers naturalistes amateurs de l’occident, auteur et illustrateur du tout premier guide d’identification des oiseaux jamais publié - aux alentours de 1800).
Mes parents étaient sensibles à ma passion et m’ont généreusement aidé à constituer ma première bibliothèque, avec leur complice, le père Noël. Il existait les Guides de la série Peterson, notamment, et les « Golden Guides » qui venaient de sortir dans les années 60 : sur les oiseaux, les reptiles, les amphibiens, la vie dans les mares, la flore, les insectes, les constellations, les planètes, les étoiles, l’espace...
J’avais donc mes bouquins, que j’apprenais par cœur, un microscope, des jumelles, plus tard à l’age de treize ans j’ai reçu mon premier télescope, et je dessinais et peignais les oiseaux fiévreusement, avec le rêve de devenir le nouvel Audubon. Et quand je n’avais pas le droit d’aller traîner dehors dans les bois, je regardais par la fenêtre.
S’intéresser à la nature me paraissait être une évidence. Sans le savoir, j’étais un fils des Lumières, un «little Linné» ou «young Darwin», nouveau recru dans cette nouvelle culture en développement chez Homo sapiens, très en vogue dans les pays anglo-saxons déjà, le clan des « naturalistes amateurs », soldats d’un peloton invisible de gens ordinaires, capables autant de contribuer au recensement et suivi des créatures du monde, que de développer une relation sensitive, romantique, au vivant et aux créatures qui le composent.
Une forme de religion peut-être, je n’en sais rien pour tout dire, sans doute une forme d’animisme moderne, spiritualité encore pratiquée par les peuples premiers, où l’on vénère les animaux, les plantes et les paysages, et les esprits immortels qu’ils incarnent, ceux des ancêtres, qui sont la vraie force du monde.
Entre le mysticisme.
J’ai lu dans quelques ouvrages d’anthropologie concernant ces naturalistes dont je fais parti (nous serions donc une tribu à part!) que notre rapport à la nature reste souvent très intime et personnel, privilégié même, car Qui sait nommer, lire et déchiffrer les traces dans la nature des heures durant et anticiper ses mouvements a parfois l’impression que ce monde lui parle.
Je comprends. Ce n’est pas anodin de se promener avec l’infini du grand dehors encapsulé dans la sphère intérieure de nos petites consciences , dans nos chambres, nos bibliothèques, nos foyers. Et « Nos » forêts. Le naturaliste amateur est un ermite, un moine peut-être, voire un chaman, un illuminé en tout cas. Un rêveur solitaire, qui « croit » en la nature, sa seule profession de foi.
Notre posture de recueillement au devant du vivant, de cette « bio-diversité » dont tout le monde parle aujourd’hui, mot buzz s’il en est un, je pense qu’elle est l’héritage psychologique directe de notre lointain passé de chasseurs-cueilleurs. Un atavisme qui peut apparaître partout, mais qui se manifeste avec virulence dans une nature aussi intense que celle d’Amazonie, par exemple, ce qui explique peut-être comment j’ai failli passer de l’autre côté du miroir chez les Indiens Ye’kuana, lors de mes séjours avec eux, jusqu’à adopter un moment leur système de pensée magique.
Baignez-vous la nuit dans un fleuve amazonien, flottant sur le dos, la voie lactée brillant au-dessus dans son ciel d’encre, les cris, rugissements et crépitements de mille et une créatures émanant de la forêt autour, qui vous regardent en plus de leurs yeux qui brillent. Vous verrez : on bascule vite.
Les ornithologues et autres naturalistes ne peuvent rester de simples bons sauvages modernes. Trop longtemps, notre obsession lettrée pour le vivant et le cosmos, cet amour débridé mais solitaire pour la nature, son observation et sa classification, sont restés l’affaire de quelques grands enfants et rares cas sociaux comme moi, invisibles dans la population.
L’urgence écologique demande mieux.
Il faut rendre accessible ce lien au monde, le transmettre illico. Et le faire mûrir dans le même temps. Inventer le naturaliste 2.0. J’ai de la chance, Paris Birds constitue une petite victoire dans ce sens. Le simple faite de vous avoir, déjà, je m'adresse ici aux 200 participants de la bande, à vous «contaminer» selon vos propres mots, à bosser avec les écoles et les collèges surtout, me réjouit. Votre enthousiasme, votre curiosité sensitive et intellectuelle, vos mots, pensées, sourires et rires sur le terrain, sont bien évidemment des cadeaux que je me repasse en boucle.
Plus important encore, je vois vos talents d’observation et d’identification décupler à la seconde, à chaque nouvelle sortie, vos sens s’aiguisent et vos cerveaux gonflent. C’est une source de fierté certes, mais surtout de satisfaction, à l’idée d’un partage à plusieurs qui s’annonce, d’une célébration commune de la nature (ô rituel !), que je peux enfin vivre au quotidien en temps réel, sur le terrain, avec plein d’autres que moi-même, dans cette grande église du dehors.
Beaucoup trop de mes collègues naturalistes exercent encore leur hobby en mode solitaire, mais je ne peux pas leur en vouloir, j’ai fait pareil pendant des années.
Maintenant, enlevez moi mon Paris Birds et je hurlerai comme quand j’étais petit enfant, un sale gosse «sûrement pas français».
A bientôt sur le terrain. A bientôt au Der !
David
Quelques photos de ce voyage mémorable
par Anne Lisbet Tollänes
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